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cinequanon

Titre du roman : Sulak, Auteur : Philippe Jaenada

1 Mai 2014 , Rédigé par pasc Publié dans #CHRONIQUE LITTERAIRE

Titre du roman : Sulak, Auteur : Philippe Jaenada

Sulak est un livre qui commence par une galerie de portraits, de personnages nombreux dont on apprend la naissance par le menu et qu'on mélange au départ....pas d'actions, juste une suite de récits rétrospectifs.

Et puis tout à coup, vers la page 100, lorsque l'auteur cesse de faire la généalogie de ses personnages et s'intéresse précisément à Sulak lui-même, l'histoire devient vraiment passionnante car c'est un personnage doué, extrêmement attachant, même s'il est un mauvais garçon qui fait des braquages de supermarché puis des braquages de banques, puis des braquages de bijouteries.

Alors le récit devient haletant, le lecteur prend fait et cause pour Bruno Sulak qui n'est pas un malfrat comme les autres et qui veut que tous ses braquages soient non-sanglants. Bruno Sulak a quelque chose d'un Mesrine (d'ailleurs Thalie, aussitôt libérée rencontrera la fille de Mesrine, Sabrina), ami de Spaggiari, il concocte des évasions dignes d'Arsène Lupin et a toujours, pour ce faire, des alliés, des amis. L'histoire d'amour qu'il vit avec Thalie est forte et sa vie est spectaculairement romanesque, il ne vivra avec sa fille que quatre jours.

Le lecteur accepte même petit à petit les réflexions du narrateur sur sa vie propre, qui lui paraissaient auparavant hors de propos et qui faisaient du début du livre une sorte de bric-à-brac un peu incompréhensible et ralentissaient sa lecture.

La vie de Bruno Sulak est palpitante, une vie à 100 à l'heure shootée à l'adrénaline, faite de hasards qui sont souvent des chances, jusqu'à ce que…

Les personnages de Jaenada sont des êtres " impétueux", " indociles". Ils ont des valeurs qui leur sont propres ; ex page 317 profession de foi de Bruno : « les flics ont le droit de m'abattre, c'est sûr. Moi je ne m'octroierai pas le droit de tirer sur eux, je ne veux pas leur ressembler. Ils font ce qu'il croit juste, je fais ce que je crois le mieux devant tant d'injustice et de trafic de tous ordres, à tous les niveaux. La vie est somme toute bien courte, et chaque journée qui passe pour moi une victoire contre ces règles arbitraires qui ne servent toujours qu'un petit groupe » et vivent dans un monde en marge de la société.

C e roman est extrêmement documenté, à croire que Jaenada a eu accès à tous les dossiers de la PJ française…!

On sent qu'il admire son personnage, qu'il est parti prenante, qu'il est lui-même passionné. Il nous raconte une histoire dans un Paris à la Modiano. La première évasion en hélicoptère de Bruno Sulak est savoureuse mais à partir de la mort de Steve, "bavure policière"( c'est un euphémisme), Steve est le meilleur ami de Bruno, Bruno n'a plus la niaque pour continuer sa vie de hors-la-loi. Il ne sent remettra d'ailleurs pas.

La chance finira par tourner et l'auteur fait comprendre à demi-mot que la police et les matons de la prison ont aidé Bruno Sulak à se défenestrer.

C'est un livre entre le roman, le document et le polar. Il sait réunir à merveille les trois genres en un seul, mais il a fallu être patient pour être enfin récompensée et passer ce superbe moment de lecture... On dirait que l'auteur y était, il sait à merveille et avec finesse reconstruire les faits, il a une grande psychologie des situations. Et il inscrit son roman dans son époque.

Mais ce par quoi, moi j'ai été le plus subjuguée, c'est par l'attitude d'un malfrat à aller vers la littérature à la fin de sa courte vie (il meurt à 29 ans !). Une des lettres qu'il écrit après la mort de Steve est un bijou dont le style est très fort dans l'urgence à dire, ce qui est rare dans la littérature avec un grand L :

"Je n'ai presque plus d'encre dans ce stylo à bille. Et je n'en ai pas d'autre ! Que faire ? Arrêter là ma petite plaisanterie, t'embrasser comme si de rien n'était […] Il doit rester un peu d'encre, autour de la bille, même si je ne la vois plus, étrange ce tube de plastique, si transparent, si désespérément vide, à l'encontre de nos habitudes, peut-être le conserverai-je, quelque part au fond d'un sac. La vie semble l'avoir quitté, l'espace d'un flash, crash ! Je sais qu'il n'en est rien, moi, puisque j'écris encore avec ce presque moribond et qu'il lui suffira, le jour où ayant surmonté sa presque mort, de me faire un signe, d'un quasi au-delà, afin que je l'emplisse d'une sève-force-folie nouvelle pour qu'entre mes doigts, à travers moi, il te dise qu'il vit, que nos larmes, tourments, sont inutiles car avec nous il écrira encore longues pages d'encre, de vie, si intenses à force de courir, d'aimer, d'oublier et de refuser. Il n'y a plus d'encre, Thally ! Pourtant il écrit toujours, toujours, aide- moi. Non, laisse-moi, pense à lui qui se vide et meurt un peu plus à chaque mot, chaque lettre, il était neuf encore il n'y a pas si longtemps, plein d'encre, écrivant, raturant… et le temps d'un battement de coeur, de cils, de vie, de mort, tout s'arrête, tout continue, encore il veut écrire, retenir cette encre qui fuit… Pourquoi ? Il sait , lui, Bic, encre perdue, stylo jeté, effacé, oublié, pourtant jusqu'à l'ultime goutte il écrira, te dira, vivra pour moi -que ne suis je stylo ! -dans un dernier sursaut, dernière transfusion, vivre ou mourir ensemble (le signe, bon sang d'encre, fais-le ! que nous sombrions tous les deux). Il écrit toujours, Thally, je dois arrêter, je ne dois pas en finir avec lui, pas encore, il attend, espère, sens- tu son souffle, oui, je vais l'emplir de ma vie il écrira encore et encore jusqu'au détour d'une phrase où sans force nous signerons, n'en pouvant plus, la fin de la lettre, ensemble, en te demandant, dans un soupir de tache d'encre, de ramasser ce stylo et qu'avec toi ton amour-beauté-folie, ta sève, il puisse ne jamais vraiment s'éteindre "

Cette lettre est poignante, toutes ces métaphores, ces urgences à dire, ces images de manque et d'amour. Le stylo se fait sexe et l'encre, la sève qui relie Bruno à la vie dont il est coupé.

C'est ce genre de petit bijou que le lecteur recherche dans ses lectures effrénées...

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